Bonnes nouvelles de Martine Roffinella

Publié le par Agnès Séverin

Rencontre 
                                
 


     A priori,
Martine Roffinella c’est l’anti-Gavalda. Jusqu’ici sa marque de fabrique, c’était ces romans d’alcôve affriolants, théâtres de souffrances délicates. Brillants, subtils, subversifs, débordants de désirs peu avouables. Tous parcourus d’une violence légère, ultra sophistiquée. 
 
« Je ne suis pas politiquement correcte », confie la discrète à la terrasse de la brasserie Le Nemours, sous les arcades du Palais-Royal. « Je ne dis pas ce que les gens attendent. Je n’aime pas Obama. J’aurais voté pour Hillary : elle est beaucoup plus intelligente. Il a été élu grâce à son Blackberry ! ». Inféodées à leurs désirs, animées par la saine et délectable colère d’Inconvenances, ses héroïnes n’ont, pas plus qu’elle, à voir avec la douce Amélie Poulain. Et pourtant.


Au pays d'Amélie Poulain
 
Virage à 90°, avec son dernier recueil de nouvelles, l’impossible Martine Roffinella change de registre. Publié chez un nouvel éditeur toulousain (un banquier qui y a investi son golden parachute, mais oui vous avez bien entendu…), Recherche de fuites rappelle l’atmosphère douce-amère de Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, les nouvelles qui firent connaître Anna Gavalda. C’est aussi une chronique parisienne des travers et des faiblesses de ses contemporains. Poésie minuscule.

 

Montmartre Parano

 
Une mère et sa (vieille) fille joyeusement obsessionnelles. Un plombier qui voit des lézards partout. Une cinquantenaire traumatisée par la petite ride rose, là. Une autre qui cavale dans les escaliers de Montmartre pour effacer les traces des éclairs au chocolat. Un écrivain manipulé par une arriviste diabolique. Tous habitent sur la célèbre butte, dans un petit périmètre de rien du tout.

 

Montmartre, c’est le fief de Martine Roffinella : elle n’en sort pas. Ses trajets dans le quartier sont réglés comme du papier à musique. A 12 heures 45, elle descend acheter Le Parisien (elle se délecte des faits divers) et le pain (elle adore). A 18 heures 15, elle sort faire son marché (sauf si le téléphone sonne).

 

Manie de haute précision

 

Rassurante, l’unité de lieu rappelle le cocon d’une scène de théâtre. Tous y verront soudain leur quotidien déraper pour un petit rien, le grain de sable dans la machine trop bien rodée de l’habitude. Par-delà l’anecdote, la psychologie qui sous-tend l’intrigue de chacune de ces nouvelles obéit à une mécanique de haute précision.

 

 Ces gens banals ont tous un petit quelque chose en commun avec nous. Une faiblesse, une angoisse, un tic. « La faille », c’est ce qui fait leur charme et rappelle, dans cette « observation glaciale des solitudes urbaines », la tendresse d’Anna Gavalda pour ses anti-héros. Au départ de chaque histoire, il y a un petit détail inspiré de la vraie vie. « Un petit truc qui m’avait choqué et avait pu rester des années dans un coin de ma tête ». Le petit fait vrai. Comme ce sac de voyage garanti 30 ans. Ce plombier gracieux qui vous lance « Si le mur est sec c’est que vous ne vous lavez pas ! ». Cette grand-mère morte d’une crise cardiaque dans un fait divers en voyant un serpent remonter dans ses canalisations.

 

« J’y ai mis un peu de mes phobies et de mes lubies », note Martine Roffinella, à l’affût du moment « où tout bascule. Des gens comme ça, on en croise tous les jours. Seulement il y a un truc ». Trouver la phrase charnière, ménager cet instant étrange où tout bascule pour sombrer dans l’absurde, peut lui prendre toute une journée.

 

Trois ans de « chirurgie d’écriture » 

 

 « Tu as attaqué à six heures du matin, à 23 heures, tu y es encore », confie l’ancienne « rewrieteuse » des éditions Phébus, passée par l’assurance, la pub et les ateliers d’écritures dans les prisons. « C’est à se taper contre la tête contre les murs ! Comment veux-tu aller dans les cocktails ? Comme le disait Oran Pamuk il n’y a pas longtemps : la vie d’un écrivain est forcément sinistre. C’est la vérité ».

 Ce petit bijou de lucidité et de drôlerie au chevet de « l’infiniment petit » a demandé trois ans de travail. « Le premier jet m’a demandé une journée mais j’ai écrit dix, quinze, vingt versions de chaque nouvelle. Je voulais que la psychologie soit précise à l’adjectif près, à la virgule près, au point-virgule près. C’est une chirurgie d’écriture mais je ne voulais pas que cela se voit. Je voulais faire quelque chose de léger que tout le monde puisse lire, une petite récréation dans la vie des gens ».

 

 Que Martine Roffinella se rassure, dans ces « petites histoires sur le fil » sa maniaquerie stylistique s’efface littéralement derrière l’émotion, toujours originale. Ces petits contes cruels s’avalent d’une seule traite. Un régal de tendresse vacharde, de folie douce.

 

 

§        Recherche de fuites de Martine Roffinella

Jean-Paul Bayol, 138 pages, 15 euros 

 


             


   D'autres critiques de Recherche de fuites  : www.lechoixdeslibraires.com/livre-69330-recherches-de-fuite.htm#189426

    D'autres critiques de Martine Roffinella : www.zazieweb.fr/site/fichelivre.php?num=5347 ; www.ohmydahlia/blog/?p=1024  ; www.hippocampe-associe.com

Le lectomaton de Martine Roffinella sur Daily Motion : www.dailymotion.com:80/video/x97arn_lectomaton-elle-de-martine-roffinel

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