La fadeur du personnage global

Publié le par Agnès Séverin

 

 

Cover Humbert

 

Quoi de commun entre   

ü  un oligarque russe de la génération Perestroïka

ü   un serveur sans papier mais non sans charme

ü  un professeur d’université sublime et douée de scrupule

ü  un jeune trader manquant de mordant et comme égaré dans une banque d’affaires londonienne, en pleine euphorie des opérations à gros effet de levier

ü  et un jeune héritier qui ne trouve rien de mieux à faire pour échapper à l’aura de papa que de plonger tête baissée dans l’argent facile des crédits subprimes vendus en porte-à-porte à des déshérités qui n’avaient vraiment pas besoin d’un diable tentateur pour augmenter leur degré de misère ?

 

Antihéros falots d’un monde évanescent  

 

D’une villa en Floride à la Tour d’Argent en passant par des mansardes étudiantes où ses nouent des relations plus modestes, et sans doute plus vraies, entre gens raisonnables, la ronde des personnages sur fond de mosaïque géographique forme la trame de ce roman global qui laisse échapper quelques volutes de fumée distraites, tel un cigare, sans pénétrer vraiment dans le cœur de ses personnages. Ses antihéros sont effleurés de manière trop superficielle pour ne pas laisser une impression fade, tout comme la chronique de la grande crise du crédit, qui offre pourtant une matière romanesque d’une extraordinaire richesse. Le résultat : une intrigue habilement ficelée, qui joue du puzzle d’une planète hyper connectée avec ses méandres propices aux rencontres de fortune entre des mondes qui se croisent et qui s’ignorent, mais une psychologie épaisse comme du papier à cigarettes. Ces héros manquent non seulement de relief mais de cœur et de tripes.  

 

A cœur sans grande substance, morale pleine de clichés

 

Aux dires d’une éditrice repentie, croisée récemment, le roman choral, déjà devenu la norme, serait voué à être éclipsé dans un avenir proche par le jeu vidéo (dans lequel cette dernière est d’ailleurs déjà reconvertie) en tant que standard des modes d’expression d’avenir. Il y a clairement quelque chose d’aseptisé dans ces romans qui calquent leur construction sur les scenarii des séries télévisées où se succède une kyrielle de personnages pris dans un tourbillon de rencontres et de tensions qui reflètent des bribes de destinées hachées menu, des tranches de vie napolitaines.  

 

Selon la jeune experte, toujours, le mutos (l’art de raconter des histoires), l’aurait emporté sur le logos (la raison, ou la logique). La disparition d’un fil rouge qui apporterait son sens au récit, par-delà la dénonciation hâtive des motifs intéressées par rapport aux bons sentiments faciles et aux conventions morales, est ici une évidence. Le don de tenir le lecteur en haleine, en revanche, a plutôt gagné aux tours de passe-passe entre les frontières et différents univers. Seulement voilà : dans un monde global, ces derniers ne font plus qu’un et c’est précisément cette uniformité qui mine le roman.

 

 L’ère de l’easy fiction

 

Le dit « roman choral » est à la littérature ce que l’easy listening est à la musique électronique : plaisir facile mais qui ne laissera pas une empreinte indélébile dans l’histoire des formes, qui ne marque pas, ni ne touche pas réellement. Pas d’émotion, des sensations effleurées, qui ne remuent pas et ne dérangent rien en passant. Elles entrent par une porte et sortent par une autre sans laisser de traces, comme leurs personnages trop pressés.  

 

Sujet : **

Ecriture : *

Construction : **

 

L'équation :

Une kyrielle de personnage bien choisi mais trop superficiellement campés

+ un sujet formidablement riche mais survolé

= un résultat au goût du jour et efficace car formaté par les scenarii de l’industrie audiovisuelle.

 

La Fortune de Sila, de Fabrice Humbert. Seuil, 316 pages, 18 euros.

 

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