L’hymne a la joie

Publié le par Agnès Séverin

 

 

 

 

 

 

  Dandy épris jadis d'esprit décadent, Mathieu Terence vit aujourd’hui en Andalousie, dans une chambre avec vue. Il préfère une petite chambre avec une vaste vue à l’inverse. Dix ans après notre première rencontre dans un de ces palaces dont il aimait aussi l’opulence surannée, il n’a rien perdu de l’intransigeance qui est sa qualité. Résultat, un nouvel opus plein de lumière là où son univers il y a dix ans était sombre et vénéneux, vaguement inquiétant. Le soleil d’Andalousie sans doute. Le temps l’a visiblement assoupli aussi comme ces millésimes qui témoignent parfois d’une douceur soyeuse. 

 

Un enchantement de poche

 

Le petit bréviaire contemporain sur lequel je viens de retomber est un enchantement de poche. Tout à fait pertinent pour commencer l’année sous de bons augures. Pourquoi ne faire que des cadeaux qui portent le triste nom de « fin d’année » ? Autant choisir un bon viatique pour inaugurer l’année. Celui-ci offre une succession de plaisirs philosophiques, spirituels et temporels. Il recèle des trésors de morale et de drôlerie, une bonne dose d’esprit critique, une foule d’analogies justement saisies pour prendre l’existence à bras le corps. Une éthique subtile (voir page 83) et une certaine éthique qui n’est pas très éloignée de l’ascèse –joyeuse - qu’est l’écriture.

« Tu ne te souviens pas avoir voulu être « heureux ». Dès l’enfance tu as aspiré à te montrer courageux. Le courage, d’instinct, t’a semblé être la vertu cardinale. Libre parce que courageux, sensible parce que courageux, digne parce que courageux, solitaire parce que courageux » (…) « Tu accomplis et ce que tu désires par-dessus tout et ce que tu redoutes par-dessus tout » (…) « Tu veux vivre vieux avec la même radicalité qu’on se tue à vingt ans ».

 

Offrande à la ligne

 

Ce Petit éloge de la joie interroge la beauté, la banalité, la fatalité et l’ennui, exalte le don de soi et garde en ligne de mire rien moins que le vaste monde. Cette « pensée sensible » est un gigantesque pied-de-nez à la routine et à l’esprit domestique (voir page 59). La joie « est sublime parce que la répétition ne la banalise pas. D’ailleurs elle ne se répète pas ». Ce recueil de sentences jamais sentencieux (et je reverrai là à la page 55 du texte) est merveilleusement vivant : il  est de ces livres qui ouvrent une fenêtre sur l’univers, entrebâillant les portes d’un autre règne. Voici d’abord une méditation sur l’humanisme étayée par des piles de livres, qui campe de plein pied dans le domaine de l’immatériel et portée, par  vagues, par un phrasé et son charme, par la joie conservée dans ces pages et qui sont autant d’offrandes : « La souffrance est pire à imaginer qu’à vivre. La joie est meilleure à vivre qu’à imaginer ». Et de vraies questions et de réel mystère. « On comprend bien ce qui cause de la souffrance dans le monde, mais qui comprend quels sont les effets de la joie ?».

 

La surprise est une licorne  

 

Mathieu Terence aime les miracles : il sème savamment les « sésames » et des « pollens » qui toujours touchent à la vérité (page 68, page 81) et à la vie qui est aussi un tout un art. Il y a les références qui mêlent la musique sacrée, les biotechnologies et la révolution sidérante qu’est la procréation assistée (Technosmose, Maître-chien et L’Autre vie, ces romans d’anticipation ne sont pas loin), l’idéalisme allemand et le spinozisme, l’amour courtois, le mode mineur et la cacophonie ambiante, la geste napoléonienne et Hiroshima. Descartes, Kojève, Foucault, Jünger, un certain Daumal, un autre Joël Bousquet et le sieur Huizinga, un autre illustre inconnu pour nous que serait Henri d’Ofterdingen. Enfin la correspondance de Van Gogh, Sénèque et un homme heureux comme Segalen en Polynésie. « Les peintres et les sculpteurs {qui} disent mieux la joie que les romanciers du réalisme « sociétal ».Il est en fait plus question de couleurs et de lumière en mouvement que de littérature d’ameublement ».  Et Bach, bien plus que Mozart. Le dialogue et l’harmonie. Les rencontres heureuses.  

 

 

 

 

Cover MTerence Petiteloge

 

 

 

« Toute joie est une double surprise. Comme de rencontrer une licorne en un lieu retiré ou au milieu de la foule et… d’entendre cette licorne prononcer ton prénom ».  

 

Il y a l’art et tout juste derrière, la subversion, sinon à quoi bon ? Naturellement. On feint de l’ignorer. « Le feu mis aux poudres de toutes les révolutions {toujours pleines de bonnes intentions et qui ne font que revenir, on l’oublie trop souvent, à leur point de départ comme c’est leur destin} est un feu de joie ».  Vous m’aurez compris, quelque chose d’un poil plus stimulant que l’indignation de bon ton - un gigantesque malentendu cela dit en passant, puisque son auteur lui-même n’avait pas l’intention d’en faire toute une histoire d’un petit billet d’humeur.  Et ce rappel à l’ordre : « Joie et Dieu furent ainsi longtemps synonymes de la plus poétique des manières » (voir pour plus de détails page 52).

 

En Andalousie, il lit, il vit et réfléchit, il souffre, exalte la joie de vivre et s’aventure aux portes de la folie : il fait son métier


Quel est le secret pris dans le fil de ces textes ? Il ne vous le dira certainement pas. Tant mieux, car il ne mange du pain de l’impudeur ambiante. Ce n’est pas son genre. Mathieu Terence est décidément un garçon bizarre, qui a le bon goût de vivre à contretemps. Il ne cherche pas les honneurs et la notoriété : pure folie aujourd’hui ! Il vit chichement : totalement insensé ! Pourquoi aller se perdre aux confins de l’Espagne ? Il lit et réfléchit. Il sort prendre l’air et goûter la saveur du temps.  Il médite et il rêve. Il s’abreuve à la source ou au poison des grands écrivains que plus personne ne dépasse la troisième page. Il souffre et s’aventure sur aux portes de la folie. Il explore les recoins poussiéreux des livres anciens comme il interroge les frontières de la science et jamais ne s’exonère d’affronter des évolutions tenues pour acquises et absolument insensées. En fréquentant une littérature corsée que peu d’âmes suffisamment armées savent encore aborder, il s’est habitué à vivre aux frontières d’une solitude distraitement recherchée (page 80). Il fait son métier écrivain. Un garçon à contretemps qu’il ne faut pas se priver de fréquenter la prose élégiaque comme aux beaux jours des Dimensions du monde : le rêve d’une île paru chez Leo Scheer il y a quelques temps. Car derrière tout cela il n’y a rien d’autre que la poésie. Vous l’aviez compris. Le voici le secret, nous le devons à Keats et à un certain Henry Moore (il se trouve page 57). Et c’est tout un programme inlassable de lecture et d’écriture : « Inscrire dans la pierre la plus dure les mots de la douceur même ». De la poésie on vous aura pourtant prévenu.  Car, franchement, avez-vous déjà vu « la lumière {qui} se baigne dans la nuit » - en Andalousie sans doute ? Et bien moi non plus…  

 

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Voir mon blog(fermaton.over-blog.com),No-30. - THÉORÈME de la JOIE. - L'HÉRITAGE DE CHACUN !
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