Les raisins de la violence

Publié le par Agnès Séverin

Cover Koch

 

 

Au menu, sourires gênés, plats tarabiscotés et vieilles rancoeurs fraternelles. Le néerlandais Herman Koch, qui signe un best-seller aux Pays-Bas et son premier roman traduit en France, a impeccablement mis en scène ce dîner entre un homme politique en vue, aussi prompt qu’habile à se glisser dans la peau de son sémillant personnage charismatique à une veille d’élection, et son frère, observateur à la critique facile et (apparemment) plus subtil. Impitoyables et cruels, le fil des dialogues se déroule au millimètre, qui piétinent joyeusement le politiquement correct.

Ce pourrait être le livre de l’été, celui dont on parle sous la treille un verre de vin à la main, à l’heure où les grillons se taisent et passent dans le jardin les fantômes de ces histoires qui font peur, chuchotées jadis sous la couverture étant enfant. L’heure du crime et de la légendaire Dame Blanche. En apparence, tout est normal et c’est ce qui rend l’horreur troublante et ce roman dérangeant.


Derrière une petite comédie savamment relevée…

 

Le décor : un restaurant en vogue dans une grande ville agréable, qui est sans doute Amsterdam. Les personnages : le ballet des serveuses en long tablier noir, le gérant qui garde l’auriculaire en l’air pour désigner les précieux mets, « Tonio », le séduisant patron qui arbore un col roulé blanc et n’a rien d’italien, aboyeur muet mais efficace. Au centre de la scène, le duo d’un couple complice face à un autre, en crise, est également savamment orchestré, entre «écrevisses couchées sur un  lit de vinaigrette à l’estragon et aux oignons des bois », « pleurotes des Vosges », vitello tonnato et « roulade de pintade garnie de fines tranches de lard allemand » (pourquoi allemand ?), coupe de mûres au chocolat et Dame Blanche qu’on laisse fondre pendant la dispute.

 

… une tragédie en trois plats 

 

Comme dans toute bonne tragédie, l’unité de lieu et de temps sont respectées. La pièce se déroule en trois actes où l’annonce des plats résonne comme un couperet. Il y a L’ENTREE, LE PLAT et, cerise sur ce gâteau un peu décati, LE DESSERT. Pas aussi digeste que cette aimable réunion de famille en forme de règlement de comptes ne pouvait de prime abord le laisser paraître.

 

Crime aux petits oignons et champignons sauvages

 

Derrière ce tableau gentiment acide, il ne s’agit pas ici d’une satire sociale conçue pour dénoncer la comédie des apparences (elle aurait eu son efficacité publié en feuilleton dans la presse au XIXème siècle) , désormais si bien connue de nos sociétés globales qui en ont fait leur α et leur Ω. Bien fade éthique qui tiendrait tout entière sur une carte de restaurant prétentieuse. Ce qui se trame en filigrane, est un roman d’analyse bien troussé, qui fouille au plus profond des âmes pour aller en sonder les pensées les plus obscures pour arracher les racines de la violence et dénicher les graines de la folie, qui, c’est bien connu, ne fait pas de bruit. Mais beaucoup de ravages.

 

Violence désinhibée

 

Voici un crime mitonné aux petits oignons et aux pleurotes sauvages qui pose question, après la gigantesque tuerie perpétrée cet été par un jeune norvégien à la blondeur angélique et à l’organisation diabolique par jeux en réseau et réseaux sociaux interposés. Derrière ce trajet individuel effrayant, dont les téléphones portables et leurs cortèges de SMS impérieux, progrès de la génétique et psychotropes sur ordonnance sont les personnages secondaires, c’est ici la banalisation de la violence au berceau qui fait froid dans le dos.

L’été est la saison du polar. Celui-ci nous joue le tour d’en être un… sans en avoir l’air. Sans doute cette histoire semble-t-elle plus vraie que nature tant ces réalités sanglantes forment désormais le brouet quotidien servi par les actualités au petit-déjeuner. Au fait l’été, est-ce vraiment la saison des pleurotes ? Vous en reprendrez bien une petite poignée…

 

Le dîner, d’Herman Koch (Belfond, 329 pages, 18,50 euros)

 

 

 

 


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